La Data Science n’est qu’une petite partie d’un projet d’IA

Lorsqu’une entreprise souhaite se transformer grâce à la Data Science, le coût des technologies ne sera qu’une part minoritaire de ses investissements.

Prévoir l’organisation, les cas d’usage, la conduite du changement

Il lui faudra mettre en place une organisation adaptée afin que la DSI, les Data Scientists et les métiers travaillent ensemble au mieux. Les cas d’usage de l’IA devront être correctement sélectionnés pour que leur impact business réponde à l’attente des opérationnels sur le terrain et que ces algorithmes soient utilisés au quotidien. Cela nécessitera une conduite du changement ad hoc. Bien sûr, il faudra également recruter les bonnes compétences et mettre en place les processus dans l’organisation pour disposer de données de bonne qualité.

Le groupe Pernod Ricard est très décentralisé, organisé en marques et en marchés

Ce sont ces différents prérequis que liste David Lepicier, Global Head of Data and Analytics de Pernod Ricard. Il a pris la parole à l’occasion de l’événement « Retail & E-commerce » organisé par le Hub Institute, les 2 et 3 février. Le groupe Pernod Ricard est un leader mondial des vins et des spiritueux au travers de marques comme Jameson, Absolut, Chivas, Havana Club ou bien sûr Ricard. Le groupe emploie 19000 personnes dans le monde. Il est organisé en marques et en marchés, très décentralisé. Les décisions sont prises au plus près des producteurs de marques et des marchés.

« Nous avons attaqué ce sujet data par un angle technologique, en développant une plateforme, en faisant les premiers cas d’usage en Data science. Mais nous avions du mal à passer à l’étape de production où nos projets sont vraiment utilisés dans le quotidien des équipes commerciales, marketing ou autres » reconnaît David Lepicier. Un virage a été pris il y a 8 mois. Les équipes de Data Science ont été séparées de l’informatique. La plateforme technologique est restée à la DSI.

Une collaboration délicate entre la DSI et les équipes Data

Historiquement, la collaboration entre les équipes de l’informatique et de la data était délicate parce qu’il y avait du flou entre les deux. En séparant les deux, les rôles ont été clarifiés. Côté informatique, un centre d’excellence Data s’est créé où se développe une expertise sur la partie plateforme et sur les technologies. L’équipe Data discute avec le centre d’excellence Data de la DSI. Ce centre d’excellence apporte les technologies et forme l’équipe Data. « Nous leur faisons confiance. Je n’irais jamais voir Google, Amazon ou Facebook pour savoir ce qu’ils proposent. C’est le travail du centre d’excellence. Nous travaillons en bonne collaboration comme cela » se félicite le responsable.

« Pour déployer un de nos programmes, nous envoyons à chaque fois un Data Scientist et un responsable du déploiement »

La DSI doit apporter les bonnes technologies et l’équipe Data Science doit réaliser de bons projets avec ces technologies. Les équipes Data Science forment une nouvelle entité qui mélange à la fois des compétences de conduite du changement et des compétences technologiques pour développer la partie Data Science. Les interventions sur le terrain auprès des métiers se fait désormais en binôme. « Sur le terrain, pour déployer un de nos programmes, nous envoyons à chaque fois un Data Scientist et un ‘Deployment lead’ [NDLR : responsable du déploiement], c’est un consultant interne qui va faire la conduite du changement et la gestion du projet » décrit David Lepicier. « C’est ce binôme qui va réussir à transformer l’essai pour que la nouvelle façon de travailler, que nous apportent le Big Data et l’IA, puisse vraiment porter ses fruits, dans le marché au quotidien » résume-t-il.

Autre point clé, le choix des cas d’usage. « Il faut bien cibler les cas d’usage. Nous avons eu la chance de les faire arbitrer au niveau de notre Codi. Ils ont retenu les cas d’usage qui pour eux étaient ceux sur lesquels il fallait parier, parmi les 50 cas plus ou moins farfelus pour certains » décrit-il. «  Ils en ont identifié 3 sur lesquels nous nous concentrons. Cela fonctionne bien. Historiquement, nous avons essayé d’en faire 50. Ils marchaient techniquement pour la quasi totalité mais peut être aucun qui ait vraiment eu de la valeur » dit-il.

Les cas d’usage de l’IA concernent la vente et le marketing

L’équipe de Data Science a été basculée dans la partie « sales et marketing » de Pernod Ricard, car l’entreprise a identifié que les premiers vrais leviers de croissance des programmes de Data Science concernaient les commerciaux et le marketing. « Nous avons 3 grands sujets, un qui est sur l’analyse des promotions commerciales,  un autre sur les campagnes marketing, et enfin le dernier concerne l’allocation de nos commerciaux sur le terrain » précise David Lepicier.

« Les solutions que nous avons développées peuvent améliorer entre 2% et 10% du temps de nos équipes commerciales »

A ce stade, Pernod Ricard ne communique pas sur le retour sur investissement de ses projets. « Les solutions que nous avons développées peuvent améliorer entre 2% et 10% du temps de nos équipes commerciales » indique le responsable. Les programmes de Data science réalisés vont servir d’aide à la décision pour les commerciaux. « Pour les équipes marketing, nous avons des recommandations d’allocation d’investissement sur certaines marques plutôt que d’autres, sur certains canaux de distribution, la télévision,  le média, ou autre. Nous avons des sujets encore plus concrets avec nos commerciaux. Nous allons leur dire quelle est la route optimisée pour faire des visites [NDLR : les marques de Pernod Ricard sont commercialisées via des bars, hôtels, restaurants, boîtes de nuit que les commerciaux doivent visiter] et les marques à pousser. Avec un parcours bien optimisé, nous pouvons vraiment améliorer leur quotidien » décrit-il.

Au niveau de l’investissement, le responsable pointe que la Data Science en elle-même ne représente qu’une partie des coûts. « Je dirais que pour 1 € investi dans la partie plutôt Data science, technologie, il faut investir à peu près le même montant sur la partie conduite du changement » prévient-il. « Et il faut au moins la moitié de 1 € pour commencer à mettre des processus pour collecter les informations proprement. Cela pour que l’organisation petit à petit ait une meilleure gestion des informations, donc que la qualité de donnée s’améliore, et pour que l’on puisse toujours faire tourner nos modèles » explique-t-il.

Des recrutements à New York, Shanghai et Mumbai

Pernod Ricard va désormais monter en puissance sur la Data Science et recruter afin d’être opérationnel sur toute la planète car l’équipe actuelle est basée à Paris. « Nous avons construit en 6 à 8 mois une équipe basée à Paris. Nous avons choisi de concentrer toutes les équipes Data science dans la même organisation. Les 3 programmes que nous avons identifiés sont les mêmes pour chacun des pays, avec des adaptations. Nous allons commencer le recrutement à New York, à Shanghai et à Mumbai, pour avoir des équipes capables de déployer à travers tout le groupe » annonce-t-il. Cela devrait doubler les équipes.

« Aujourd’hui, nous pouvons faire une proposition d’emploi à quelqu’un en 48 heures« 

En matière de recrutement, là aussi Pernod Ricard a du s’adapter et changer ses méthodes habituelles. « Avant,  nous prenions de 1 à 2 mois pour recruter quelqu’un, entre le premier et le dernier entretien. Aujourd’hui, on peut faire une proposition à quelqu’un en 48 heures » souligne-t-il. Il considère que recruter ces profils de spécialistes de la data est un énorme défi. « Il y a peu de monde capable et formé sur ces sujets là. On commence à trouver des Data Scientists sur le marché. Mais il y a une saturation sur les gens qui ont vraiment travaillé sur ces programmes et les ont passés à l’échelle » regrette-t-il.

Pour ses recrutements Pernod Ricard invite les candidats à des « tech nights », des soirées de recrutement en commun. « La personne vient à 17 heures et repart à 21 heures. Pendant cet intervalle, le candidat a pu avoir un échange sur un cas business, un échange RH, un échange avec son manager et un test technique qui nous permet le lendemain de lui faire rencontrer notre CDO, et s’il a été vraiment bon, on lui fait une offre en moins de 48 heures » décrit-il. Actuellement, ce processus se passe en virtuel par la faute de la Covid-19. « On s’en sort bien, on arrive à travers ces échanges à quand même connaître les gens. Quand on se voit vraiment physiquement,  c’est un bonheur » conclut-il.


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