Renault est en pleine refonte de sa stratégie publicitaire afin de diffuser des messages plus pertinents, inédits et créatifs que de simplement marteler l’argument prix. La Data et le digital constituent le socle de cette stratégie. C’est ce qu’a présenté Bastien Schupp, Vice Président Global Brand Strategy and Marketing du groupe Renault, le 9 novembre, lors de l’événement Marketing Remix, organisé par Viuz à Paris.
Sortir du message basique sur le prix
L’idée est d’arrêter de diffuser systématiquement des messages du type « notre voiture n’est pas chère » pour délivrer des informations de fond et sur la durée, voire sur plusieurs années, afin de présenter les avantages des véhicules, précise le responsable. Ce profond changement est parti du fait qu’à un moment donné, seulement 4% à 5% des personnes qui entendent les messages publicitaires sont dans une phase d’achat de voiture.
Dès lors, 95% des consommateurs entendent des messages qui ne les intéressent pas, en particulier l’argument du prix ne les touche pas. Renault a pourtant tant d’autres histoires à raconter, se désole Bastien Schupp. « Nous avons tant d’histoires à raconter sur nos voitures, par exemple comment on fabrique des voitures électriques, » illustre-t-il.
Il poursuit. « Quand j’écoute la radio le matin, on parle de cuisine pas chère, d’assurance pas chère, de voiture pas chère, etc. Aucune de ces publicités ne signifie quelque chose pour moi, car je ne suis pas en phase d’achat. Ce temps là pourrait être utilisé de manière beaucoup plus intelligente, pour influer sur la perception des marques, » résume Bastien Schupp, et il souhaite « s’éloigner de la publicité de masse pour être beaucoup plus ciblé. »
Dépenser son budget publicitaire autrement
A l’heure actuelle, les ressources publicitaires de Renault sont mobilisées massivement (à 90%) pour convaincre ces 5% de la population, si on considère un cycle de 3 ans. « L’objectif, c’est d’arriver à un équilibre à 50-50, pour ré-allouer ces ressources sur les périodes où les personnes ne sont pas en phase d’achat, qui sont la majorité et qui entendent toutes nos publicités qui sont orientées commerce, » analyse le responsable. « Et de beaucoup mieux cibler les personnes en phase d’achat pour les convertir, pour leur dire achetez Renault c’est bien mieux et d’ailleurs ce n’est pas aussi cher que vous le pensez, » sourit-il.
Le projet lui tient à coeur depuis des années. »Cela me trotte dans la tête depuis des années, et cela m’énerve, » présente-t-il. Et c’est un véritable challenge de le mettre en oeuvre dans un groupe de la taille de Renault, où il faut convaincre le management et les différents pays de suivre une stratégie inédite et définie en central. A terme, il ne s’agira plus de faire de la publicité par modèle de voiture, mais de passer à des plans médias par audience. « On en est encore très loin, » reconnait le Vice Président.
Afin d’exécuter cette stratégie, Renault déroule un plan d’actions sur trois ans, enclenché il y a 1 an et baptisé « From Mass to inviduals. » Le premier pilier du plan est le déploiement d’une infrastructure Data. Le responsable a conscience du risque du manque de cohérence. « Cela fait des décennies que nous montons des systèmes par pays, par business même, ce qui fait que les systèmes ne se parlent pas, » déplore Bastien Schupp.
Une infrastructure de Data Lakes dans le monde
Monter une infrastructure Data cohérente cela prend du temps. « Les pays sont tous en train de faire de la programmatique. La plupart font de la programmatique enrichie de Data. Nous avons environ un tiers des pays qui commencent à se lancer sur des DMP [NDLR : Data Management Platform]. Là le challenge c’est de faire en sorte que l’on n’ait pas 70 DMP dans le monde, » craint Bastien Schupp.
Le Vice président cite comme exemple à ne pas reproduire certains grands pays où Renault est présent et où il existe près de 200 systèmes concessionnaires différents « qui évidemment ne se parlent pas. » Dans le même temps, les pays les plus avancés pour Renault sont en train d’intégrer des Data Lakes afin de réaliser du on-boarding des données clients issues de son CRM et de réaliser un meilleur ciblage.
« A terme, il s’agit de pouvoir faire de la publicité différenciée, selon le comportement de conduite des clients, avec la donnée que nous allons recevoir de plus en plus grâce aux voitures connectées, » annonce-t-il. Ce déploiement d’une infrastructure Data est plus précisément sous la responsabilité de Elie Elbaz, Vice Président, Digital and Connected Car de groupe Renault, alter ego de Bastien Schupp, coté technologies.
Des contenus créatifs et éphémères pour les médias sociaux
Autre axe de développement impératif : la création rapide de contenu. Il s’agit d’un changement majeur pour les agences dans leur manière de produire du contenu pour Renault. Bien sûr, il y aura toujours le contenu lourd, avec les grands films de marque pour le lancement de voitures.
Mais il faut des contenus pour les réseaux sociaux, plus légers, éphémères, plus créatifs et nettement moins chers à produire. Pour cela, Renault a créé une structure spécifique, la Content Factory avec Publicis. « La moitié des équipes sont des créatifs de Publicis et l’autre moitié des freelances, des architectes, des designers, des scientifiques, pour créer des contenus régulièrement pour les réseaux sociaux, » présente le Vice Président.
Troisième type de contenus, les contenus dynamiques. Ceux-ci intègrent une couche image, une couche message, une couche offre et une couche relance ainsi qu’une couche call to action. « Les agences traditionnelles n’abordent pas du tout le sujet de cette manière là. C’est pour cela que je dis que c’est un challenge pour nous, » pointe le dirigeant. Cela concerne la manière de se structurer pour Renault et des process beaucoup plus courts qu’il faut mettre en place pour être réactifs sur les réseaux sociaux. « On ne peut pas avoir des process de création qui durent des mois comme sur les grands briefs, » dit-il.
Adopter le programmatique pour le Display
Enfin, dernier axe, le mode d’achat du média par Renault est en plein changement également. « Dans les pays les plus avancés, 60% de l’achat du display se réalise en programmatique. Nous encourageons nos pays à être de plus en plus programmatique en utilisant les structures Data que nous mettons en place, » déclare Bastien Schupp.
Il souhaite également changer la manière de cibler les clients. « Plutôt que d’avoir des plans médias structurés par voiture, nous voulons arriver un jour à avoir des plans médias qui sont structurés par audience pour regarder ce que cette audience va entendre sur la durée d’une année et si cela est cohérent. C’est la démarche dans laquelle nous sommes, » insiste-t-il.
Pour lui, le gros challenge pour passer de 90-10 à 50-50 n’est pas technique, il n’est pas dans les agences, il est dans l’entreprise de manière générale. « Parce que nous sommes dans une culture où il est beaucoup plus rassurant de répéter dans des spots à la télévision, le message ‘pas cher, pas cher, moins 5000 €,’ plutôt que de dire je vais faire une belle publicité à la TV, ne vous inquiétez pas, les personnes qui sont en phase d’achat quant à elles entendent notre message de ‘pas cher, pas cher’, » résume-t-il.
Convaincre le management et les pays
Le gros du travail est donc la gestion du changement, un processus psychologique, afin d’amener le management et les différents pays à comprendre, à les rassurer, à démontrer à travers des POC (Proof of Concept) que cela marche.
Il s’agit de POC sur le in-market, c’est à dire les personnes qui sont en phase d’achat, et sur le out of market, c’est à dire les personnes qui ne le sont pas. « Il y a pas mal de choses à démontrer, avant d’avoir les pays derrière nous, et le management, » souligne le Vice Président. Et de confirmer en aparté auprès de La Revue du Digital que ces POC ont démontré la valeur de la démarche.
Derrière tout cela, Bastien Schupp pointe qu’il faut un effort sur l’excellence créative. « On a l’agence que l’on mérite, quand je suis arrivé chez Renault, on m’a dit il faut qu’on quitte Publicis, cela fait trop longtemps que l’on est avec eux. Il faut un pitch. Mais c’est ce que j’avais entendu chez Nissan, chez Audi, » relativise-t-il.
En revanche, il demande à ce que les deux côtés aient envie de faire de la bonne création et pas juste « de la promo« . Il confirme qu’il s’agit d’un travail de transformation pour les agences, pour trouver les ressources au sein de ces grands groupes.
Tout le monde doit être emmené dans cette transformation digitale
Enfin, le dernier effort est d’emmener tout le monde dans cette transformation. « Cette transformation digitale il faut qu’on la fasse tous ensemble, que l’on emmène les employés. Donc nous mettons en place des formations pour cela, des formations digitales. On ne peut pas juste aller chercher des Data Scientists, » relève-t-il. Il ajoute : « nous suivons les pays, selon leur maturité digitale. Il faut faire des plans pour qu’ils se l’approprient. »
Bastien Schupp est particulièrement investi dans ce projet. « Je veux que l’on soit la marque ‘Meilleur Advertiser of The Year,’ l’année prochaine à Cannes [NDLR : lors de l’événement le festival des Lions de Cannes], mais juste quand j’ai annoncé cela en interne, Arthur Sadoun [NDLR : patron de Publicis] déclare que Publicis ne va pas à Cannes l’année prochaine [NDLR : l’annonce de Publicis a été faite en juin 2017]. Je discute avec lui, » conclut-il.