Les comptes de la sécurité sociale minés par le doute, les erreurs et la fraude

Pierre Moscovici, Président, Cour des comptes

La sécurité sociale suscite des interrogations en matière d’exactitude de son bilan. La Cour des comptes vient de certifier mais avec réserve les comptes 2022 de quatre des cinq branches de prestations du régime général et ceux de l’activité de recouvrement. Pire, la Cour refuse de certifier les comptes 2022 de la branche famille (réseau des CAF) et de la Cnaf.

Un montant de 5,8 milliards d’euros non corrigé

La Cour des comptes pointe que le montant des erreurs non corrigées par les actions de contrôle interne est beaucoup trop élevé. Il s’élève à 5,8 milliards d’euros de versements indus et aussi de prestations non versées à tort constatés fin 2022, qui ne seront jamais régularisés. Ce montant a doublé en quatre ans. De plus, la Cour estime que les actions de contrôle n’ont pas été adaptées à cette dégradation. La Cour n’a pas constaté d’actions de redressement de la situation à court terme et appelle la Cnaf à amplifier ses efforts pour retrouver une meilleure qualité de liquidation.

Les erreurs représentent 7,6 % du montant des prestations, et concernent le RSA, la prime d’activité et les aides au logement

La Cour refuse de certifier les comptes de la branche famille et ceux de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Les erreurs liées aux données déclaratives prises en compte pour verser les prestations et non corrigées au bout de 24 mois ont continué à augmenter pour atteindre 5,8 milliards d’euros. Ces erreurs représentent 7,6 % du montant des prestations, et concernent le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. Un quart des montants versés au titre du RSA est entaché d’erreurs. Les erreurs liées aux opérations internes effectuées par les CAF restent quant à elles à un niveau élevé de 1,7 milliard d’euros.

La Cour certifie avec réserve les comptes des branches maladie et accidents du travail-maladies professionnelles et ceux de la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Le montant estimé des erreurs affectant les règlements de frais de santé atteint 3,4 milliards d’euros soit 3,3 % de leur montant, essentiellement au détriment de l’assurance maladie. Ce montant n’intègre ni les règlements effectués au bénéfice d’assurés qui ne remplissent plus les conditions d’affiliation à l’assurance maladie, ni les erreurs de facturation des établissements de santé publics et privés non lucratifs ni les fraudes avérées.

Un préjudice allant jusqu’à 1,3 milliard d’euros

La Cour des comptes indique que les fraudes, estimées par la Cnam sur un périmètre encore incomplet, font apparaître un préjudice de 0,9 à 1,3 milliard d’euros.  Une indemnité journalière nouvellement attribuée sur 10 est erronée. La Cour des comptes certifie avec réserve les comptes de la branche vieillesse et ceux de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). En 2022, comme en 2021, 1 prestation de retraite sur 7 attribuée à d’anciens salariés comporte une erreur financière.

Les erreurs auront un impact cumulatif de 1 milliard d’euros jusqu’au décès des pensionnés

Les erreurs commises par les caisses de retraite en 2022 portent sur 1,1 % du montant des prestations nouvelles. Ces erreurs auront un impact cumulatif de 1 milliard d’euros jusqu’au décès des pensionnés. S’agissant des retraites des indépendants, des incertitudes affectent la prise en compte des cotisations qu’ils ont versées et les erreurs de calcul ne sont pas mesurées avec la même précision que pour les salariés.

La Cour certifie avec réserve les comptes de la branche autonomie. Des erreurs affectent une partie des enregistrements comptables. Le contrôle interne des opérations effectuées par la CNSA ou pour son compte par les branches maladie et famille présente des faiblesses. La Cour des comptes certifie avec réserve les comptes de l’activité de recouvrement. Elle avait refusé de certifier les comptes 2021 en raison d’un désaccord portant sur le traitement comptable des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants.

Des insuffisances

En 2022, la Cour indique qu’il est constaté un désaccord sur la présentation des comptes, la comparabilité de ces produits n’étant pas assurée entre 2022 et 2021 parce qu’il avait été procédé à tort à une minoration des produits en 2020 et à une majoration symétrique des produits en 2021. Enfin, les contrôles visant à réduire les risques d’inexactitude et de non-exhaustivité des prélèvements sociaux présentent des insuffisances.

Le contrôle interne des activités du CPSTI, dont la gestion est entièrement déléguée aux organismes du régime général, présente encore des faiblesses

Sinon, la Cour certifie les comptes 2022 du CPSTI et des régimes de protection sociale qui en relèvent, pour la première fois depuis que la mission de certifier ces comptes lui a été confiée. La Cour avait été dans l’impossibilité de certifier les comptes de 2020 et avait refusé de certifier les comptes de 2021, du fait du traitement comptable retenu pour les produits de cotisations sociales.  Si cela relève des progrès, la Cour note que le contrôle interne des activités du CPSTI, dont la gestion est entièrement déléguée aux organismes du régime général, présente encore des faiblesses.

Au final, la Cour des comptes identifie 4 axes prioritaires pour améliorer la fiabilité des comptes du régime général de sécurité sociale. Elle recommande d’agir résolument pour réduire les incertitudes affectant les enregistrements comptables ;  de réduire à la source les risques financiers liés à la gestion des prestations sociales et des prélèvements sociaux ; d’accroître les contrôles portant sur les processus de gestion à forts enjeux financiers ; d’intégrer les préoccupations de contrôle interne dès la conception des mesures nouvelles, pour stopper les risques d’indus  et limiter le risque de non-recouvrement.


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