Les crédits Cloud, le piège qui emprisonne les startups françaises chez un prestataire

Yann Lechelle, Scaleway

Les fournisseurs américains de Cloud savent capter les startups françaises en leur proposant des crédits Cloud favorables, c’est-à-dire en leur allouant des services accessibles gratuitement durant un certain temps. Cela facilite leur développement mais à terme, les jeunes sociétés sont verrouillées chez le fournisseur. Qu’elles soient prises par le temps ou qu’il ne leur soit plus possible de changer de technologie, les startups restent chez leur fournisseur et les tarifs augmentent.

Les crédits Cloud au centre du débat pour Scaleway et OVH

C’est ce que dénoncent deux prestataires français de Cloud, Scaleway, filiale d’Iliad et fondé par Xavier Niel, et OVHCloud, fondé par Octave Klaba. Plus précisément, Yann Lechelle, directeur général de Scaleway réclame l’annulation de ces crédits Cloud. Caroline Comet-Fraigneau, Vice Présdente France, Benelux et Afrique d’OVHcloud, demande la mise en place d’un cadre équitable au niveau européen. Ils ont pris la parole lors de la journée Think Tech Summit, organisée par La Tribune, le 28 mars.

« Les vrais enjeux c’est quand il y a du locking par le biais de crédits Cloud, qui créent des prix négatifs, et les frais d’egress« 

« Aujourd’hui, nous sommes focalisés sur les vrais enjeux du multi-Cloud, les vrais enjeux de la réversibilité » souligne Yann Lechelle. « La réversibilité théorique c’est sympathique, mais les vrais enjeux c’est quand il y a du locking [NLRD : verrouillage] par le biais de crédits Cloud, qui créent des prix négatifs, et les frais d’egress [NDLR : frais de sortie] qui empêchent de sortir ses données d’un acteur donné » pointe le dirigeant. Pour Yann Lechelle, il faut réaliser du lobbying au niveau de la Commission européenne.  « Cela nécessite du lobbying actif, d’aller à la Commission européenne pour expliciter ces mécanismes, et pour créer un vrai champ compétitif européen, qui permettra ultimement la réversibilité » décrit-il.

Ces crédits Cloud sont pour autant également proposés par les prestataires français. « Nous sommes obligés. Les startups nous disent sans crédit Cloud je ne peux pas démarrer mon projet. Combien vous me donnez ? » réagit Yann Lechelle. Un crédit Cloud peut être de 6 mois à 1 an, jusqu’à 100 000 € voire plus, dit-il.  Mais une fois qu’une entreprise s’est engagée sur un Cloud durant plusieurs mois, il y a peu de chance qu’elle le quitte. « Evidemment en informatique lorsque l’on s’engage dans un projet, que l’on commence à développer une architecture, et bien lorsque l’on a utilisé un service durant 6 mois ou 1 an, c’est trop tard » analyse le DG  « Il n’y a pas de réversibilité d’un point de vue de l’architecture, parce que la startup galope, elle n’a pas le temps de revenir en arrière. Ce genre de mécanisme s’apparente à une piqure de drogue dure. On n’en revient pas. Et donc ces crédits Cloud devraient être négatifs, enfin annulés » demande-t-il.  

Les startups sont toutes dans une course au temps

Chez OVHCloud, on confirme l’analyse de Scaleway et l’enfermement possible chez un fournisseur. «  Nous avons tous un programme d’accompagnement des startups. Ce serait bien qu’il y ait un cadre à tout cela, pour que ce soit équitable » réfléchit Caroline Comet-Fraigneau d’OVHCloud. « J’ai eu l’occasion de discuter avec pas mal de startups. Au début, elles sont conscientes de ces enjeux de réversibilité mais elles sont dans une course au temps » commente la responsable. « Elles ont tendance à utiliser un ensemble de fonctionnalités et d’outils propriétaires proposés par les Gafam. Et une fois qu’elles ont développé leur plateforme, cela devient extrêmement difficile de migrer vers un autre environnement » comprend-elle.

« Une fois qu’ils sont verrouillés, les prix augmentent et les changements de technologie sont extrêmement difficiles »

Elle est également demandeuse pour qu’un cadre réglementaire soit mis en place. « C’est pour cela qu’il faut que l’on arrive à mettre tout le monde au pas sur ces enjeux de réversibilité pour que les technologies soient ouvertes et favoriser la liberté de changer de fournisseur. Un certain nombre de SaaS providers [NDLR : fournisseurs de logiciels accessibles depuis le Cloud] sont en train de se rendre compte qu’une grosse partie de la valeur est prise par un certain nombre de Cloud providers. Et une fois qu’ils sont verrouillés, les prix augmentent et les changements de technologie sont extrêmement difficiles » dit-elle.

La Vice présidente met en avant la démarche d’OVHCloud qui est d’utiliser l’Open Source afin de favoriser la réversibilité. « On promeut le fait d’utiliser un maximum de solutions de type Open Source, on utilise OpenStack pour notre Cloud public, ou des solutions qui peuvent ensuite se porter dans d’autres environnements. On voudrait que les startups commencent sur des solutions de confiance et souveraines » poursuit-elle.

Les trois quarts des nouvelles technologies en France sont développées sur AWS

Les fournisseurs américains captent l’essentiel des nouveaux développements logiciels en France, selon Scaleway qui indique que 75% des technologies de la French Tech sont sur AWS (Amazon Web Services). « Nos licornes, le futur de la technologie française est développé sur une couche basse, qui capture l’essentiel de la valeur à terme, va directement alimenter des caisses d’acteurs qui sont déjà dominants. C’est ce phénomène qu’il faut inverser. Comment fait-on pour rééquilibrer tout cela, pour qu’il y ait plus de souveraineté, plus de création d’emplois à valeur ajoutée localement et plus de maitrise locale ? Il faudrait mettre en place du protectionnisme libéral en Europe comme le font les Etats Unis » demande Yann Lechelle de Scaleway.

« Je n’irais pas jusqu’à qualifier les crédits Cloud de drogue dure. Il faut avoir un peu de raison sur ce type de sujet« 

Les positions tranchées de Scaleway et d’OVHCloud se heurtent à la vision plus floue d’Orange dont on a l’impression qu’il essaye de ménager aussi longtemps que possible la chèvre et le chou, c’est à dire les risques et les opportunités. Peut-on qualifier les crédits Cloud proposés par les fournisseurs de drogue dure ? «  Je n’irais pas jusque là. Il faut avoir un peu de raison sur ce type de sujet » réagit Cédric Parent, directeur général adjoint des activités Cloud chez Orange Business Services, répondant à Scaleway lors de la même table ronde.

Le DG adjoint en charge du Cloud chez Orange Business Service considère que la réversibilité et la suppression du verrouillage chez un fournisseur, le ‘vendor locking’, sont un défi en pratique. « La réversibilité, nous sommes tous d’accord qu’il est extrêmement important d’éviter le vendor locking. C’est au cœur de notre stratégie en tout cas » débute-t-il. « Il y a des technologies qui permettent de le faire, moins simples en réalité qu’elles ne le sont sur le papier comme la ‘containerisation’ et toutes les technologies autour de Kubernetes. Notre rôle est d’aider les clients à migrer d’une technologie à une autre, que ce soit pour des questions fonctionnelles, législatives, de temps de latence, de sécurité, de négociations ou de résilience » conclut-il.


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