Lutte contre le gaspillage alimentaire : les solutions Big Data ont leurs limites

Jean Moreau et Cécile Guillou, 30 novembre

Les grandes enseignes alimentaires utilisent les algorithmes afin d’optimiser le réapprovisionnement de leurs points de vente. Pourtant, il y a toujours des produits en surplus. La situation devrait durer à la fois pour des raisons de limites des technologies, de modèle économique des distributeurs et d’habitudes de consommation des Français. Explications avec Franprix et Phenix qui interviennent en aval afin de redistribuer les produits auprès des associations d’aide alimentaire.

Malgré le Big Data et l’intelligence artificielle, il existe toujours du gaspillage alimentaire dans la grande distribution. Même si une partie des produits en surplus est redistribuée aux populations les plus fragiles, cette situation est toutefois bancale car la lutte contre le gaspillage intervient après coup alors que les produits ont déjà été livrés en surnombre dans les points de vente.

Des limites technologiques, un modèle économique et des habitudes de consommation

Pourtant, ce mode de fonctionnement risque de durer encore quelque temps à la fois pour des raisons de limites des technologies, de modèle économique des distributeurs et d’habitudes de consommation des Français. C’est ce que l’on comprend à l’écoute de Cécile Guillou, directrice générale de Franprix et Jean Moreau, directeur général de Phenix. Ils ont pris la parole à l’occasion de l’événement Adetem Factory, le 30 novembre, organisé par l’Adetem, association de directeurs marketing.

« Des produits vont à la poubelle parce que les distributeurs ont plus peur de perdre une vente que du gaspillage à la marge »

Franprix s’appuie sur la jeune société technologique Phenix spécialisée dans la collecte des produits arrivant en fin de date limite de consommation et qui les livre aux associations d’aide alimentaire. Dix millions de repas ont ainsi été redistribués. « Il y a des produits mis à la poubelle parce que les distributeurs ont plus peur d’une rupture de stock et de perdre une vente, que du gaspillage à la marge » explique Jean Moreau. Dans les grandes surfaces, ce sont de 1% à 2% du chiffre d’affaires qui part ainsi à la casse. Franprix pour sa part s’appuie sur Phenix depuis six ans pour collecter les produits dans ses points de vente et les redistribuer aux associations.

« Le gaspillage ne fait plaisir à personne » réagit Cécile Guillou. « Les équipes en magasins ne s’en fichent pas du tout de jeter des produits » insiste-t-elle. Franprix fait d’ailleurs appel de manières multiples au Big Data pour optimiser le réapprovisionnement de ses magasins mais la technologie a ses limites. « Nous faisons tout ce que l’on peut avec le Big Data pour essayer de commander au mieux, mais il reste de l’imparfait, évidemment, malgré tous nos efforts » déclare la dirigeante.

La société Phenix dispose de données sur les invendus de 5000 magasins

Il suffit que la température augmente et les clients n’achètent pas du tout ce qui était prévu. « Les équipes en magasin avaient prévu que vous achetiez quelque chose mais vous achetez tous des produits au frais » illustre la DG.  De son côté, la jeune société Phenix possède de la donnée sur 5000 magasins des enseignes de Carrefour, Leclerc ou Auchan, avec lesquelles elle travaille et elle pourrait annoncer qu’elle peaufine des algorithmes d’intelligence artificielle afin d’optimiser au mieux les approvisionnements des points de vente. Jean Moreau écarte résolument ce discours. 

« On sait que dans telle région, tous les lundis matins, on voit les mêmes yaourts à la fraise dans les poubelles« 

Le DG reconnaît que les choses ne fonctionnent pas du tout ainsi. « Nous avons les données de casse [NDLR : produits arrivant en date limite de consommation] et de démarques de 5000 magasins depuis 6 ans » dit-il. Il voit bien des modèles de comportement se dessiner dans les magasins. « On voit des patterns. On sait que dans telle région, tous les lundis matins, on voit les mêmes yaourts à la fraise dans les poubelles, ou les mêmes tranches de jambon » débute-t-il.

« Théoriquement, je pourrais vous raconter du bullshit [NDLR : des foutaises] et vous dire qu’avec l’intelligence artificielle, avec des algorithmes, du Machine Learning, on va faire de la Big Data » poursuit-il. « Je pourrais vous dire que l’on va pouvoir se connecter au système d’approvisionnement et au système de caisse, et faire un algorithme qui va ajuster les commandes magasin par magasin. En fait, cela ne se passe pas comme cela » tient-il à déclarer.

Les enseignes n’ont pas attendu pour utiliser la donnée

La grande distribution n’a pas attendu Phenix pour optimiser l’approvisionnement de ses points de vente. « Il y a beaucoup de réassortiment automatique. Utiliser les données que l’on a depuis 5 ans pour faire du conseil et du coaching ou des recommandations aux enseignes, c’est une vision à long terme. Et je pense que les enseignes ne nous attendent pas pour le faire » reconnaît-il.

« Nous avons la responsabilité de faire en sorte que le consommateur puisse moins gaspiller« 

Chez Franprix, on tient à tout remettre à plat quand il s’agit de gaspillage. « Le plus grand gaspillage est chez le consommateur final. Il faut dire que l’on a été éduqués à la surconsommation, aux promotions » analyse Cécile Guillou. « En tant qu’enseigne, nous avons la responsabilité de gaspiller le moins possible  et de faire en sorte que le consommateur puisse moins gaspiller, en étant en chaîne courte, en proximité, avec des petites quantités ou du vrac » illustre-t-elle.

Phenix propose une application mobile de revente accélérée destinée aux consommateurs pour qu’ils achètent à petit prix des invendus autour de chez eux. Il y a environ 3 millions de téléchargements de cette application. Mais le gros des produits collectés par Phenix est donné à des associations d’aide alimentaire. Phenix a trouvé la solution pour la collecte des invendus pour des petits magasins de proximité comme ceux de Franprix pour qu’ils puissent bénéficier à des associations de quartier. Dans ces petits points de vente, il n’y a pas le temps de ramener en entrepôt un produit qui périme le jour J ou le lendemain pour le redistribuer.

La récupération des volumes d’invendus est plus simple dans les grandes surfaces


Jusqu’alors la collecte était faite de manière assez artisanale, avec un crayon par des bénévoles.   Cela marche bien dans les grandes surfaces, Leclerc, Carrefour ou Auchan, parce qu’il y a de gros volumes récurrents tous les jours, de l’ordre de 1% à 2% du chiffre d’affaires est mis à la casse. « Pour les petits magasins, il y a moins de volume. Nous faisons des grappes de collecte, nous passons dans 3 à 4 Franprix. Nous mutualisons les collectes logistiques et comme cela nous massifions les volumes. Nous livrons ensuite l’association à sa porte qui n’a plus qu’à les redistribuer dans la foulée » décrit Jean Moreau.

« Nous avons sauvé 160 millions de repas depuis la création de Phenix dont 10 millions avec Franprix »

Les produits alimentaires interdits au don tels que les fruits de mer ou à J zéro sont placés dans des paniers surprise à 15 € à récupérer en magasin via l’application Phenix. Cela touche une communauté de 3 millions de consommateurs. Cela fait du « Drive to store », même si c’est toujours compliqué à prouver, explique le DG. « Nous avons sauvé 160 millions de repas depuis la création de Phenix dont 10 millions avec Franprix.  Tous les jours, nous sauvons 130 000 repas de la poubelle » décrit Jean Moreau.

Phenix vit avec 2 objectifs simultanés qui s’opposent. « Si nous arrivons au zéro déchet, nous nous mettrons à dos les associations d’aide alimentaire qui comptent sur les produits de Franprix. Nous devrons arbitrer un jour, entre être une entreprise ‘zéro déchet’, ou un robin des bois au service des plus démunis » conclut-il. Franprix est une enseigne du groupe Casino qui réalise 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Elle dispose de 900 petits magasins alimentaires de proximité, dont 800 sont situés en île de France.


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