Signe des temps, le site e-commerce de LVMH 24sevres s’appuie sur les micro services

Henri Danzin, patron de l'agence Oyez, adepte des micro services

Les nouvelles plateformes du e-commerce s’appuient sur les micro services, les containers et le Devops. Le géant du luxe LVMH exploite ces solutions pour son nouveau site 24sevres. Henri Danzin, patron de l’agence Oyez détaille les atouts de cette approche. 

La Revue du Digital : pourquoi de nouvelles méthodes de travail en digital et en informatique sont-elles nécessaires chez les acteurs du commerce ?
Henri Danzin : les grands du retail jusqu’à maintenant ont eu des stratégies digitales et une organisation de leur IT assez proches. Ils se battaient avec les mêmes armes, en faisant appel aux mêmes éditeurs de solutions propriétaires, intégrateurs et autres consultants, le tout en partageant globalement les mêmes objectifs. La compétition était rude, mais aucun ne distançait totalement les autres.
Avec l’arrivée des GAFA, tout a changé. Pour eux, le code est la pierre angulaire de leur stratégie de croissance, et ils en ont industrialisé la production. Résultat : en 2014, le CTO d’Amazon, Werner Vogels, expliquait que ses équipes avaient publié 50 millions de modifications de leurs plateformes sur les 12 derniers mois.
En clair, Amazon améliore l’expérience de ses clients 1 fois par seconde ! Face à cela, les acteurs historiques n’ont plus d’autre choix que de s’adapter. L’automatisation, le déploiement continu, les micros-services, les API, la containérisation et plus largement le Cloud, sont le cœur des usines de code tel qu’Amazon les a conçues.

La Revue du Digital : vous plaidez pour une informatique de nouvelle génération à base de micro services, de containers et de DevOps, afin de créer des usines de code. Quels sont les atouts de cette approche ?
Henri Danzin : les bénéfices sont nombreux, mais deux me paraissent essentiels. L’automatisation tout d’abord. Elle libère les équipes des tâches répétitives et améliore considérablement la qualité du code produit. Le second point repose sur les micro-services qui accélèrent le développement et la maintenance des gros projets.
Ils permettent de paralléliser le travail d’équipes mixtes, et donc de réaliser des fonctions uniques qui seront facilement intégrables par la suite dans tous les futurs logiciels et services digitaux d’une enseigne commerciale. Ce dernier aspect est un enjeu majeur pour dérouler une stratégie de commerce rentable intégrant tous les canaux digitaux. Et puis il y a un autre axe sur lequel je voudrais insister. Dans une conjoncture économique difficile pour les distributeurs, c’est une approche qui offre des sources d’économie non négligeables.
Prenez l’exemple du coût des licences annuelles, cela se chiffre en millions d’euros pour les solutions monolithiques traditionnelles qui n’existent pas avec ces technologies. Mais, même si la mise en place d’une usine de code reste un investissement, elle doit libérer l’IT de nombreuses contraintes « de l’ancien monde » et lui permettre d’accélérer et d’innover en intégrant des compétences et un savoir-faire qui seront des vecteurs de croissance pour le business de demain.
Très concrètement, l’industrialisation réduit considérablement le temps de développement des applications qu’il s’agisse d’un site e-commerce, d’une App mobile du client, de tablette des vendeurs, du social, de l’IoT ainsi que les coûts induits par leur maintenance.

La Revue du Digital : quels outils avez-vous sélectionnés sur le marché ? Quelles sont les prochaines avancées attendues sur ces outils ?
Henri Danzin : cette approche industrialisée implique des outils répondant à des problématiques très spécifiques. On peut par exemple citer Docker pour la containerisation et le déploiement, ou ElasticSearch pour le moteur d’indexation. Il y a également Apollo, qui est un client GraphQL, un langage issue de la R&D de Facebook, ou ReactJS. Les GAFA sont les contributeurs les plus actifs et ils rendent accessibles en Open Source des pans entiers de leurs codes et solutions.
Ce ne sont pas les bons outils qui manquent. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « plateforme ». Ces technologies sont en rupture complète avec l’approche des éditeurs historiques de solutions IT. Le monolithe classique, développé pendant des années avant de se retrouver sur le marché, se voit remplacé par un écosystème ouvert, en évolution permanente et profitant des avantages considérables du Cloud.


La Revue du Digital : avez-vous des clients qui ont mis en place ce genre d’outils ?
Henri Danzin : il faut bien se rendre compte que ces technologies et ces méthodes sont totalement alignées avec les objectifs de la majorité des projets de transformation digitale des grandes enseignes. Les DSI peuvent y trouver rapidement des solutions très opérationnelles pour répondre beaucoup plus efficacement aux besoins métiers avec notamment le déploiement continu. Comme tout projet de transformation cela prend du temps et il y a toujours des résistances. Il est donc tout à fait possible, voir même conseillé, de faire cohabiter pendant un temps, l’ancien et le nouveau monde.
Si vous voulez une recommandation pratico-pratique, « peler » un monolithe est une excellente façon de se lancer. C’est à dire qu’après avoir examiné son organisation et sa structure, on va commencer à en externaliser des morceaux dans le cadre d’un projet donné, la refonte d’une App par exemple. L’objectif n’est pas de se retrouver avec 50 mini-projets mais plutôt d’avoir une ou plusieurs applications principales de taille moyenne et cohérentes entre elles.
On peut alors avoir des micro-services qui gravitent autour et qui vont s’éloigner du cœur monolithique avec le temps. Ce processus, qui peut durer 12 mois pour un gros système e-commerce, permet ainsi de gérer la bascule en préservant la continuité du business.

La Revue du Digital : les développeurs informatiques en France sont-ils formés à ces nouvelles technologies ?
Henri Danzin : on peut trouver des développeurs formés, mais cela reste actuellement compliqué, tout particulièrement pour des enseignes ou des prestataires de services classiques. En effet, beaucoup privilégient les start-up qui utilisent massivement ces technologies ou les entreprises de la tech comme Google ou Amazon.
Ils ont plus de mal à se tourner vers des acteurs dits « de l’ancien monde », qu’ils jugent en retard et peu attrayants. Basculer vers ces technologies, c’est aussi une bonne façon pour ces grands groupes d’attirer à nouveaux les talents et d’ouvrir de nouveaux horizons aux équipes en place. Aux Etats-Unis par exemple, selon le site itproportal.com, le nombre d’offres d’emplois liées aux micro-services a bondi de 133% en 2017.

La Revue du Digital : ces techniques de développement sont-elles aujourd’hui très répandues ou utilisées uniquement dans certains cas ?
Henri Danzin : aux Etats-Unis, la mise en œuvre la plus visible de ces technologies à une échelle industrielle est à chercher une fois encore du coté d’Amazon et de Netflix. Mais Walmart, le numéro 1 mondial de la distribution généraliste, est aussi très avancé. Plus près de nous, vous avez le n°1 européen de la mode en ligne Zalando qui a fait basculer sa plateforme technologique pour accompagner la croissance de son business. Il a engagé des moyens considérables dans cette direction avec son programme « Radical Agility ». 90% de leur migration avait été déjà réalisée après neuf mois de passage aux micro-services, en utilisant AWS (Amazon Web Service) pour l’approvisionnement, Docker pour le déploiement et AppDynamics et Zmon pour la surveillance.
Autre exemple notable, le pure-player anglais Ocado, n°1 de l’alimentaire on-line en Grande-Bretagne, a également fait reposer sa stratégie digitale sur ces technologies et il propose même aux autres retailers d’utiliser les solutions qu’il a développées.
En France, des groupes comme Carrefour ou Monoprix se sont aussi lancés, même si c’est plus progressif. Mais la bascule pourrait s’accélérer si l’on en croit certains signes comme le lancement en juin dernier par le groupe LVMH, n°1 mondial du luxe, d’un site e-commerce groupe 24sevres.com (de l’adresse de son flagship Le Bon Marché) conçu in-house et en micro services.
Enfin si l’on étudie les récentes prises de positions du Cigref, les grands groupes sont de plus en plus à la recherche d’alternatives crédibles aux solutions des éditeurs historiques qui rencontrent des difficultés à s’adapter aux nouveaux enjeux technologiques et business de leurs clients.

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